Doctrine Juridique

Projet d’intégration d’ERP : le juge tranche en faveur du client et condamne le prestataire à lui verser 11 millions d’euros à titre de dommages intérêts

Le Tribunal de grande instance de Niort a jugé que le contrat et les avenants subséquents qu’une mutuelle avait conclus avec un prestataire informatique de renom étaient nuls pour cause de dol, le prestataire informatique n’ayant pas agi selon les règles de l’art et n’ayant pas communiqué à son client toutes les informations sur la réalité du périmètre du projet, son coût et son calendrier (TGI Niort, 14 décembre 2009).

En l’espèce, l’intégrateur avait été choisi par le client au terme d’un appel d’offres consécutif à une première analyse des besoins réalisée par une société tierce.

Le prestataire intégrateur avait, après la remise d’une analyse des besoins et de l’environnement du client, conclu un contrat d’intégration avec le client aux termes duquel il était en charge de la maîtrise d’œuvre de la conception de la solution, du pilotage, de la réalisation et de la coordination des prestations, de l’intégration, de la reprise des données et de l’assistance à la recette.

L’intégrateur s’engageait ainsi à fournir, sur la base d’une obligation de résultat, une solution intégrée conforme au périmètre fonctionnel et technique convenu entre les parties, en respectant un calendrier impératif prévu et pour un prix forfaitaire ferme et définitif de 7.300.000 euros, négociés dès la phase d’appel d’offres.

Le projet ayant subi plusieurs retards, les parties se sont réunies à deux reprises et ont conclu deux protocoles successifs :
Au titre du premier, les parties étaient convenues d’un report du projet et d’une majoration de 3.500.000 euros du budget, étant précisé que le périmètre global du projet n’était pas modifié.
Au titre du second, l’intégrateur ayant constaté, au terme d’une analyse d’impact, que le projet initialement envisagé n’était, selon lui, pas techniquement réalisable, les parties étaient convenues que l’intégrateur devrait établir un plan projet du scénario de refonte envisagé.

Des difficultés d’interprétation relatives au second protocole liées à une absence d’accord sur le prix afférant à la mise en place du scénario de refonte envisagé (18.000.000 euros) ont conduit le client à résilier le contrat et à s’opposer au paiement des factures. L’intégrateur a saisi le Tribunal de grande instance de Niort pour en obtenir paiement. Le client a demandé reconventionnellement que soient déclarés nuls le contrat et les protocoles conclus entre les parties pour vice de consentement.

Le Tribunal a estimé, sur la base des écritures des parties et de l’expertise ordonnée dans le cadre du litige, qu’en dépit des assurances contenues dans la réponse à l’appel d’offres concernant son expérience et sa compétence, l’intégrateur a présenté à son client un projet affecté « d’une lacune majeure » : les juges retiennent que le prestataire informatique a, « en violation des normes et règles de l’art, présenté un projet contenant un planning et un prix forfaitaire arrêtés avant même le stade de la prise en compte de la conception détaillée ». Sur cette base, le prestataire a pris un « risque fort pour répondre à la demande du client » et ainsi obtenir le marché.

Les juges estiment que le prestataire a ainsi manqué à son obligation de conseil et commis une réticence dolosive qui affecte non seulement la validité du contrat mais aussi celle des deux avenants. Il est reproché au prestataire d’avoir gardé le silence sur le risque fort du projet tout en stipulant, dans le contrat, le fait que le respect du forfait et du planning étaient des conditions déterminantes pour le client.

Les juges ont estimé que le prestataire avait commis des manœuvres dolosives en maintenant, lors de la signature du second protocole, son engagement sur le périmètre initial du projet et sur le caractère forfaitaire de la prestation alors que quelques semaines plus tard, il constatait que le planning et le budget ne pouvaient être respectés.

S’agissant de l’indemnisation du préjudice, les juges ont estimé que le client était fondé à réclamer la restitution des sommes versées au prestataire du fait de l’annulation rétroactive du contrat, sous déduction des sommes afférentes à des prestations dont il conserve le bénéfice.

Le client obtient également l’allocation de près de 11.000.000 euros en réparation des préjudices subis (rémunération des prestataires internes et externes, conséquences du retard de mise en œuvre du projet).

Bien que rendu en première instance, ce jugement rappelle l’importance d’encadrer strictement, dans les contrats informatiques et plus particulièrement dans les projets d’intégration d’ERP, les obligations incombant tant au client qu’au prestataire.

Plusieurs enseignements nous semblent d’ores et déjà pouvoir être tirés de ce jugement :
- pour les contrats en cours, il convient que les parties prennent tout particulièrement garde à leurs échanges d’information afin d’éviter tout reproche de dol ;
- pour les contrats à négocier, si le jugement peut apparaître comme très rigoureux à l’encontre des prestataires, ce pourrait être l’occasion pour eux, confrontés à la pression d’un client voulant les contraindre dès la phase d’appel d’offres à un prix forfaitaire et définitif de négocier au contraire une clause de renégociation du prix à l’issue de la phase d’étude et d’analyse détaillée des besoins du client.

La pratique pourrait d’ailleurs se généraliser de conclure dans un premier temps un contrat d’étude et d’analyse détaillée, puis, dans un second temps éventuel d’un contrat d’intégration. Dans ce cas, le défaut d’accord sur le prix n’aura d’autre sanction que l’absence de conclusion de ce second contrat.

Régis Carral, avocat associé & Frédéric Guénin, avocat & Maëliss Vincent, avocat.

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