Doctrine Juridique

Réseaux sociaux et protection des données à caractère personnel

Internet Pratique : Est-ce que l’on garde les droits de propriété des éléments (texte, photo, vidéo, etc.) que l’on poste sur un réseau social ? Que dit la loi ?

Maître Frédéric Guénin : La loi prévoit qu’est seule investit des droits d’auteur sur son œuvre la personne qui la marque de l’empreinte de sa personnalité. C’est-à-dire la personne qui crée l’œuvre en lui conférant un caractère original. Cette remarque a son importance tant la plupart des textes, photos et vidéos postés en ligne sur ce type de support manquent cruellement d’originalité…

Si l’œuvre est originale, elle sera protégée et, par conséquent, le site de réseau social pourra simplement la reproduire en vue de la diffuser en ligne. Il se peut toutefois que les « conditions générales d’utilisation » du site prévoient une cession de droits d’auteur à son profit. Il est donc important d’en prendre connaissance.

I.P. : La loi de 1978 énonce que l’informatique ne doit pas servir à porter atteinte à la vie privée. Comment se fait-il que les réseaux sociaux ne respectent visiblement pas cette loi ?

F.G. : Votre sentiment d’absence de respect de la loi par les sites de réseaux sociaux me semble pouvoir être fondé sur deux motifs principaux. Le premier est que les grands sites dans le domaine sont des sites étrangers à l’Union Européenne. La conséquence est l’absence de protection des données à caractère personnel sur le modèle de la réglementation très poussée qui existe au sein de l’U.E.. Le second est que la loi permet des aménagements aux sites, responsables des traitements, notamment par voie de questionnaires (du type autorisation de transférer les données à des tiers partenaires du site) ou contractuelle.

I.P. : Que faire si je m’aperçois que mes données ont été utilisées sans mon consentement ? Puis-je porter plainte sous la forme de « class action » comme aux Etats-Unis ?

F.G. : A ce jour, la « class action » n’existe pas en droit français. Madame Taubira, Ministre de la Justice, a annoncé le 22 juin dernier qu’elle entendait l’instituer. De nombreux travaux ont déjà été menés en ce sens depuis plusieurs années. De nombreux pays, les USA évidemment, mais aussi la Suède, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie et le Portugal disposent de cette action. En pratique, celle-ci consiste à offrir un recours judiciaire effectif à un ou plusieurs consommateurs en vue d’obtenir des dommages et intérêts.

En droit français, seule l’action en représentation conjointe s’en rapproche. Lorsque plusieurs consommateurs, personnes physiques, identifiés ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d'un même professionnel, et qui ont une origine commune, toute association agréée et reconnue représentative sur le plan national peut, si elle a été mandatée par au moins deux des consommateurs concernés, agir en réparation devant toute juridiction au nom de ces consommateurs.

I.P. : Est-ce que je peux forcer légalement un réseau social à supprimer tous les éléments anciennement postés après que j’ai supprimé mon compte ?

Il faut signaler que le projet de réforme du droit de la protection des données à caractère personnel du 25 janvier 2012 de la Commission européenne vise à créer un « droit à l’oubli ». En outre, deux « Chartes du droit à l’oubli numérique » ont été signées en 2010, l’une dans la publicité ciblée et l’autre dans les sites collaboratifs et moteurs de recherche. Mais, elles n’ont pas été signées par les acteurs majeurs du secteur, établis hors de l’Union européenne.

La loi « Informatique et Libertés » prévoit que « Toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement. Elle a le droit de s’opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection, notamment commerciale, par le responsable actuel du traitement ou celui d’un traitement ultérieur ». Pour autant que le droit français soit applicable, il est donc possible de demander la suppression de données à caractère personnel de son compte de réseau social.

I.P. : Je ne suis pas du tout d’accord avec les conditions générales d’utilisation de tel ou tel réseau social et pourtant j’aimerais beaucoup m’y inscrire. Comment faire ?

F.G. : Les conditions générales sont des « contrats d’adhésion », c’est-à-dire des contrats que les consommateurs ne peuvent négocier. Votre seule alternative est de les accepter ou de les refuser et, dans ce dernier cas, de refuser le service. A noter toutefois qu’il n’est pas rare que les conditions générales destinées aux consommateurs comportent des clauses sans portée juridique, par exemple nulles car abusives. Si les clauses qui vous dérangent entrent dans cette catégorie, vous pouvez y adhérer, mais il vous faudra alors démontrer leur nullité en justice le moment venu, ce qui a un coût…

Maître Frédéric Guénin, est avocat au sein du département Propriété intellectuelle & Technologies de l’information du Cabinet Hoche Société d’avocats.

Article publié pour la première fois dans la revue Internet Pratique, n°134, septembre 2012

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