Doctrine Juridique

Partage des accès à l’internet, des œuvres, des supports en ligne : quel est le risque d’une telle « générosité » ?

Internet Pratique : A-t-on l’obligation de sécuriser son accès à l’internet lorsque l’on utilise une borne wifi ?

Maître Frédéric Guénin : Oui. Depuis l’entrée en vigueur des lois dites « HADOPI », la loi prévoit que la personne titulaire de l'accès à l’internet a l'obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l'objet d'une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d'œuvres ou d'objets protégés par un droit d'auteur ou par un droit voisin sans l'autorisation des titulaires des droits.

Après plusieurs rappels à l’ordre par la HADOPI, les sanctions encourues sont une amende de cinquième classe, soit 1.500 euros, ainsi que la suspension de l’accès à l’internet pour une durée maximal d’un mois.

I.P. : Il existe de nombreuses offres sur l’internet permettant le partage d'œuvres de l’esprit protégées. Si l’on ne peut les mettre à disposition de l’ensemble des internautes, n’y a-t-il pas une exception pour ses proches ?

F.G. : En effet, en premier lieu, il faut réaffirmer qu’il n’est pas possible de partager impunément avec tous les internautes des œuvres de l’esprit protégées, c’est-à-dire d’œuvres originales comme de la musique, des images, des photos, des textes, etc. Sauf, bien sûr, si l’on en est l’auteur et que l’on souhaite se promouvoir par l’internet.

Un partage, par un système de « pair à pair » par exemple, constitue un acte de diffusion de l’œuvre sur l’internet et, en cela, un acte de contrefaçon. Or, la contrefaçon est un délit pénal qui expose son auteur à des peines de 3 ans d’emprisonnement et de 300.000 euros d’amende notamment, ainsi qu’à des dommages et intérêts envers les ayants droits.

En second lieu, il est vrai que le monopole de l’auteur est limité par diverses exceptions, parmi lesquelles la diffusion privée et gratuite d’une œuvre au sein du « cercle de famille ». Ces trois conditions doivent être remplies de manière cumulative. La diffusion fait référence à l’audition de musique, la projection de films ou d’émission, etc.

Ceci signifie que la personne, qui a acquis – licitement bien entendu – une œuvre, va pouvoir en faire profiter sa famille. Celle-ci est comprise par les tribunaux de manière un peu plus large que la famille au sens strict (parents – enfants). La jurisprudence y inclut en effet « les personnes parents ou amis très proches, qui sont unies de façon habituelle par des liens familiaux ou d’intimité ». Elle exclut en revanche les cercles associatifs.

Toutefois, il est admis que l’exception doit être écartée dans l’hypothèse d’une diffusion vers plusieurs lieux. Il convient en effet de se placer du point de vue de celui qui diffuse et non de celui qui reçoit la diffusion. Par conséquent, il n’est absolument pas certain qu’un juge accepte d’appliquer cette exception au monopole de l’auteur s’il y a eu une diffusion à plusieurs personnes situées dans des lieux différents. Ce que l’adresse I.P. des spectateurs pourra démontrer.

Par ailleurs, il faut se méfier de la notion d’ami, ou plutôt de « friend » sur l’internet. Celle-ci a eu une tendance très nette à l’inflation depuis le développement des sites de réseaux sociaux. Si une personne diffuse à destination de plusieurs centaines de personnes, dites « amis » sur un site de réseau social, une œuvre protégée, il semble peu probable qu’un tribunal considère être en présence de l’application normale de l’exception du cercle de famille.

Mais en réalité cette question est d’abord d’ordre probatoire. Ouvert à plusieurs centaines voire milliers d’« amis », celui qui diffuse ainsi une œuvre de l’esprit se met en risque d’être repéré. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux récentes affaires prud’homales dans lesquels des propos injurieux ou diffamatoires, tenus par des salariés sur des « murs » de sites de réseaux sociaux, sont révélés à l’employeur par un de leurs collègues tenu jusqu’alors pour un « ami » par le salarié fautif. A l’inverse, ouvert à un très faible nombre de personnes (en quantité donc), véritablement proches (en qualité aussi par conséquent), il est fort peu probable d’être repéré par un ayant droit procédurier…

I.P. : Est-il possible d’organiser une soirée du type « ciné-club » et de projeter un film à l’aide d’un vidéo projecteur à un public d’amis payant une modeste participation aux frais de la soirée ?

F.G. : La réponse est négative car le Code de la propriété intellectuelle exige, pour pouvoir se prévaloir de l’exception du cercle de famille, que la représentation soit gratuite.

Interview de Frédéric GUENIN, avocat publiée pour la première fois dans Internet Pratique n°126 de décembre 2011

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