Doctrine Juridique

Nom patronymique et exploitation commerciale

Quoi de plus naturel pour un chef d’entreprise, lors de la création de son entreprise, que de choisir d’utiliser son nom patronymique comme dénomination sociale et nom commercial de sa société voire de le déposer à titre de marque.

Toutefois, ce choix qui peut paraître anodin à première vue n’est pas sans conséquences juridiques.

L’usage de patronymes comme identifiants d’entreprises fait régulièrement débat notamment lors de la cession de l’entreprise à des tiers qui entendent en poursuivre l’exploitation alors même que le fondateur éponyme a cédé l’ensemble de ses titres. La vie de la personne morale suivant parfois une route différente de celle des personnes physiques fondatrices, il est indispensable que ce choix soit le fruit d’une réflexion éclairée et qu’il soit juridiquement encadré afin de préserver les intérêts de chacun.

Le nom patronymique a une nature mixte. Il est à la fois l’identifiant d’une personne physique et un objet de droit pour son titulaire. Dans sa fonction d’identifiant, il est insusceptible de conventions. En revanche, le titulaire d’un nom peut exploiter commercialement le droit dont il dispose sur ce nom. Ainsi, une personne physique peut, alors qu’elle demeure identifiée par son nom, en avoir cédé l’exploitation commercialement à un tiers. Le nom sera alors indisponible à l’exploitation commerciale par son titulaire ou, à tout le moins, fortement limitée du fait d’engagements/de conventions antérieurs avec un tiers.

La chambre Commerciale de la Cour de Cassation a dégagé au fil de ses décisions des principes quant à l’utilisation du nom patronymique à titre de dénomination sociale (I), et le dépôt du nom patronymique à titre de marque (II).

I - Sur l’utilisation du nom patronymique à titre de dénomination sociale

Depuis la jurisprudence « Bordas » (Com. 12 mars 1985), le patronyme devient, en raison de son insertion dans les statuts de la société, « un signe distinctif qui [se] détache de la personne physique qui le porte pour s’appliquer à la personne morale qu’il distingue, et devenir ainsi objet de propriété incorporelle ». Dès lors, en vertu de l'article 1134 du Code civil, qui interdit au titulaire du nom en ayant autorisé l'usage de révoquer unilatéralement son engagement, la cession de la société par son fondateur emporte la cession de la dénomination sociale et cette cession est définitive et irrévocable, sauf disposition contraire. Le fondateur ne saurait donc s’opposer, postérieurement à la cession, à l’utilisation de son nom à titre de dénomination sociale.

En outre, après la cession de la société, le fondateur ou ses ayants-droits ne peuvent faire un usage concurrent de ce nom devenu objet de propriété incorporelle de la société première.

S’il souhaite se prémunir contre cette indisponibilité future, le fondateur peut, au moment de la création de son entreprise conventionnellement conditionner l’usage de son nom par la société à sa présence au sein de cette dernière. Toutefois, il conviendra alors qu’il n’autorise pas parallèlement d’autres exploitations commerciales de son nom telles que son dépôt à titre de marque au profit de la société.

II - Sur l’utilisation du nom patronymique à titre de marque

  • Sur les marques déposées avant le départ du fondateur : Au regard d’une jurisprudence constante depuis l’arrêt « Inès de la Fressange » (Com. 31 janv. 2006), le cédant doit s’abstenir de tout acte qui serait de nature à gêner l’exploitation de la marque par le cessionnaire, et ce en application de l’article 1628 du Code civil. En cédant la société et par conséquent les marques portant sur son nom patronymique, le fondateur ne saurait s’opposer à ce que le cessionnaire fasse usage de ces marques postérieurement à la cession. La jurisprudence communautaire s’est également prononcée en ce sens.
  • Sur les marques déposées après le départ du titulaire du nom : En l’absence de contrat régissant le dépôt à titre de marque, la société a la possibilité de déposer le nom patronymique à titre de marque, dès lors que la notoriété de ce patronyme n’est pas propre à son titulaire et qu’elle résulterait à la date du dépôt exclusivement de son exploitation effectuée par la société (Com. 29 janv. 2001, Martinez c/ Société hôtelière Martinez Concorde).

Comme précédemment indiqué le titulaire du nom, qui souhaite utiliser son nom à titre de marque mais entend en disposer librement après qu’il a quitté la société, ne devra pas effectuer le dépôt au nom de la société. L’usage des marques par la société devra alors faire l’objet d’une convention conditionnée par sa présence au sein de cette dernière.

En outre, la Cour considère que constitue un acte de concurrence déloyale le fait, pour le titulaire du nom de, postérieurement à son départ, utiliser ce nom dans la dénomination sociale d’une nouvelle société qui a une activité concurrente à celle de la société première. De même, constitue un dépôt en violation des droits antérieurs acquis par la société première le fait pour le titulaire du nom de déposer une marque contenant son nom pour désigner des produits ou des services identiques ou similaires à ceux de la société. Dans un arrêt « Coquart » (Com. 13 novembre 2013), la Chambre Commerciale est venue confirmer cette position établie de longue date.

Dans cette même décision, la Cour précise toutefois que, s’il est interdit au titulaire du nom de faire usage de ce nom dans la dénomination sociale de sa nouvelle société concurrente de la première, on ne saurait lui interdire l’usage de son nom « pour tout autre usage » dans la mesure où « le juge qui prononce une mesure d’interdiction d’usage d’un nom patronymique doit en délimiter le champ d’application ».

En résumé, il ressort de la jurisprudence de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation que le titulaire d’un nom patronymique qui a autorisé l’usage de son nom à titre de dénomination sociale et son dépôt à titre de marque ne peut pas s’opposer à la poursuite de leur exploitation par la société après qu’il l’a quittée. Et ce, même en l’absence d’autorisation écrite spécifique du titulaire du nom. Cette autorisation se présume du fait de la mention de la dénomination sociale dans les statuts de la société que le fondateur ne peut prétendre avoir ignoré. De même, le dépôt du nom à titre de marque au profit de la société avant le départ du fondateur vaut autorisation.

Frédérique Forget, Avocat – Counsel

Article publié pour la première fois dans la Lettre d'information IP/IT du Cabinet Hoche Société d'Avocats - janvier 2014

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