Doctrine Juridique

Les apports de la loi n°2014-315 du 11 mars 2014 « renforçant la lutte contre la contrefaçon »

Comme pour en souligner l’importance, c’est 47 ans jour pour jour après la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique que la loi du 11 mars 2014 est adoptée pour renforcer l’arsenal juridique (1) visant à se prémunir de la contrefaçon et opère une harmonisation entre les différentes branches du droit de la propriété intellectuelle.

Les principaux apports de cette loi, développés ci-après, s’inscrivent dans le prolongement des innovations apportés par la loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon (2).

1. - RENFORCEMENT DES DOMMAGES ET INTERETS CIVILS

L’un des principaux apports de la nouvelle loi, transversal à l’ensemble des branches du droit de la propriété intellectuelle, est le renforcement des dommages et intérêts civils pouvant être alloués au titulaire d’un droit contrefait.

A l’instar du régime précédent, la nouvelle loi prévoit que ces dommages et intérêts sont en principe calculés en fonction du préjudice causé mais, qu’à titre alternatif, une somme forfaitaire peut être allouée sur demande de la partie lésée (3).

Tout en maintenant cette alternative, la nouvelle loi en renforce les deux composantes dans un sens favorable à la victime de la contrefaçon.

1.1. - Accroissement du calcul du préjudice

D’une part, la liste des facteurs servant au calcul du préjudice est élargie : sont désormais pris en compte, au titre des bénéfices réalisés par le contrefacteur, « les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits », ce qui n’était pas prévu par le régime antérieur.

Cette disposition, en élargissant l’assiette des bénéfices pris en compte, s’inscrit dans la lignée de la loi du 29 octobre 2007 précitée. Celle-ci avait en effet consacré la possibilité pour la victime de demander la confiscation des bénéfices issus de la contrefaçon contrairement au régime de responsabilité de droit commun au titre duquel est seul réparé le préjudice de la victime. Apparait donc, sur la durée, la volonté du législateur d’instaurer une mesure de plus en plus dissuasive en accroissant les sommes que le contrefacteur s’expose à perdre et qui ne peuvent que rendre négatif pour ce dernier l’impact économique résultant d’un acte de contrefaçon. L’intérêt d’une action en contrefaçon par rapport à une action sur le fondement de la responsabilité, telle qu’une action en concurrence déloyale, en ressort grandi.

D’autre part, le renforcement des dommages et intérêts résulte également de l’ajout d’une consigne relative au mode de calcul du préjudice. En effet, désormais instruction est expressément donnée aux juridictions de prendre en considération « distinctement » les différents aspects du préjudice. L’importance de chacun des facteurs sera dès lors nécessairement accentuée.

Les juges devront donc désormais s’appliquer à calculer de manière distincte, en vue de les additionner, les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, le préjudice moral en résultant et les bénéfices réalisés par le contrefacteur – y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.

1.2. - Renforcement de la somme forfaitaire pouvant être alternativement allouée

La nouvelle loi conserve l’alternative existante permettant au titulaire d’un droit contrefait de demander une somme forfaitaire à titre de dommages et intérêts, ce qui, en soi, déroge aux principes d’indemnisation du droit civil.

La volonté du législateur de renforcer le montant d’une telle somme forfaitaire se traduit par deux apports :

  • d’une part, alors que la disposition ancienne prévoyait que cette somme ne pouvait « être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit », au titre de la nouvelle loi, cette somme « est supérieure » audit montant. Cette nuance vient augmenter le plafond minimum de la somme forfaitaire pouvant être allouée.
  • d’autre part, la nouvelle loi ajoute une précision selon laquelle « cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée », les deux montants devant donc forcément s’additionner. Cette précision est d’autant plus intéressante qu’elle a vocation à s’appliquer aux personnes physiques comme aux personnes morales.

2. - EXTENSION DES COMPETENCES DES DOUANES

La nouvelle loi harmonise, en les renforçant, les compétences des douanes. Les dispositions ajoutées diffèrent donc selon les branches de la propriété intellectuelle en fonction du régime existant.

2.1. Ajouts propres à certaines branches de la propriété intellectuelle

La procédure de retenue par l’administration douanière de produits susceptibles de porter atteinte à un droit, sur demande écrite de son titulaire, existait déjà dans toutes les branches du droit de la propriété intellectuelle (4).

Toutefois, la procédure de retenue de tels produits sans demande écrite du titulaire d’un droit n’était jusque-là prévue qu’en matière de signes distinctifs et de dessins et modèles.

La nouvelle loi vient compléter les compétences des douanes en matières de droit d’auteur, de brevets et de certificats d’obtention végétale (5) en leur conférant le pouvoir de retenir des produits susceptibles de constituer une contrefaçon même en l’absence de demande écrite du titulaire du droit atteint.

Par ailleurs, la nouvelle loi vient également compléter l’arsenal juridique à la disposition des douanes en ce qui concerne les indications géographiques : en effet, alors que dans ce domaine aucune procédure de retenue n'était prévue - qu'il y ait ou non eu demande écrite du titulaire - celle-ci est désormais applicable dans les deux cas (6).

2.2. - Innovations communes à toutes les branches de la propriété intellectuelle

Outre l'ajout de la procédure susmentionnée, ayant permis une harmonisation des compétences des douanes, celles-ci sont également renforcées par l'apport de dispositions communes à toutes les branches de la propriété intellectuelle.

En premier lieu, l'accroissement des pouvoirs des douanes se traduit par la mise en place d'une procédure de destruction simplifiée dans le cas où la retenue des produits est mise en place suite à une demande écrite du titulaire du droit contrefait.

Une telle destruction est soumise à plusieurs conditions cumulatives (7) :

  • confirmation par écrit du demandeur du caractère contrefaisant des marchandises par une expertise détaillée soumise dans le délai requis ;
  • confirmation par écrit du demandeur qu'il consent à la destruction, sous sa responsabilité, des marchandises ;
  • confirmation par écrit du détenteur des marchandises qu'il consent à la destruction des marchandises (ou silence le réputant avoir confirmé).

En outre, les marchandises « transportées en petits envois » peuvent être détruites sous le contrôle des agents des douanes lorsque le demandeur l'a sollicité dans sa demande (la notion de « petits envois » sera définie par arrêté du ministre chargé des douanes).

En second lieu, les compétences dont bénéficient les douanes sont également élargies dans le déroulement même de la procédure de retenue faisant suite à une demande écrite du titulaire d'un droit.

Ainsi, par exemple, lors de la notification de la procédure au demandeur, « la nature et la quantité réelle ou estimée ainsi que des images des marchandises lui sont communiquées » - alors qu'auparavant ce dernier devait simplement être informé de la retenue opérée. De même, la nouvelle loi permet à l'administration de proroger le délai alloué au titulaire pour accomplir les démarches légalement requises pour que la mesure de retenue ne soit pas levée.

Enfin, que la procédure de retenue fasse ou non suite à une demande écrite du titulaire d'un droit, la nouvelle loi renforce encore les compétences des douanes en prévoyant que :

  • pendant le délai de la retenue, le titulaire de ce droit peut, à sa demande ou à la demande de l'administration, « inspecter la marchandise », et que
  • lors du contrôle des marchandises, l'administration peut « prélever des échantillons» pouvant être transmis au titulaire à sa demande « aux seules fins d'analyse et en vue de faciliter les actions qu'il peut être amené à engager ».

3. - ELARGISSEMENT DU DROIT D'INFORMATION

Le droit d'information, qui fut l'une des innovations majeures de la loi du 29 octobre 2007, a pour objet de permettre au demandeur de solliciter du juge de la mise en état la communication d'informations par le contrefacteur mais également par toute personne ayant été en possession des produits litigieux.

S'inscrivant à nouveau dans le prolongement de la loi de 2007, la nouvelle loi est venue élargir ce droit d'information, pour toutes les branches de la propriété intellectuelle, à deux égards (8).

D'une part, alors que ce droit était initialement prévu dans le cadre des audiences au fond, la nouvelle loi est venue préciser qu'il pouvait être mis en œuvre par une juridiction saisie « au fond ou en référé ».

4. - QUELQUES AUTRES APPORTS

Toujours dans une logique d'harmonisation et de renforcement de la protection des droits de propriété intellectuelle, la nouvelle loi dispose également :

  • l'ensemble des délais de prescription prévu par le Code de la propriété intellectuelle a été aligné sur le délai quinquennal de prescription de droit commun (par exemple, la prescription de l'action en revendication et de l'action en contrefaçon en propriété industrielle est passée de 3 ans à 5 ans) ;
  • les atteintes portées à une indication géographique sont désormais expressément qualifiées de « contrefaçon » (article L722-1 du Code de la propriété intellectuelle) ;
  • la compétence exclusive du Tribunal de Grande Instance de Paris a été clarifiée. La nouvelle loi précise en effet que cette compétence qui valait, notamment, pour les brevets d'inventions s'applique également aux inventions brevetables réalisées par les salariés ;
  • la nouvelle loi prévoit que, désormais, la juridiction saisie peut ordonner « toutes les mesures d'instruction légalement admissibles même si une saisie-contrefaçon n'a pas préalablement été ordonnée ».

(1) Cette loi modifie le code des douanes, le code de la sécurité intérieure et, essentiellement, le code de la propriété intellectuelle.
(2) Cette loi transposait la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de la propriété intellectuelle.
(3) Articles L331-3-1, L521-7, L615-7, L623-28, L716-14 et L722-6 de Code de la propriété intellectuelle.
(4) A l’exception des indications géographiques comme expliqué ci-après.
(5) Articles L335-11, L614-33 et L623-37 du Code de la propriété intellectuelle
(6) Articles L722-9 et L722-10 du Code de la propriété intellectuelle.
(7) Articles L335-14, L521-14, L614-36, L623-36 et L716-8 du Code de la propriété intellectuelle.
(8) Articles L331-1-2, L521-5, L623-27-2L716-7-1 et L722-5 du Code de la propriété intellectuelle.

Ella Wachtel, avocat

Article publié pour la première fois dans la Lettre d'information IP/IT du Cabinet Hoche Société d'Avocats - mai 2014

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